Retour au Niger : la Transition entre les leçons de Mamadou Tandja et la voix des jeunes.

TANJA LE RETOUR ?
Aux assises du changement ?
Le Niger a donné le top départ d’un processus dont on ne sait pas encore s’il va aboutir à la restitution du pouvoir politique aux civils. Dans tous les cas, les rencontres entre la société nigérienne et le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie vont avoir lieu en février 2025 sous le nom d’Assises nationales. Les invités d’honneur des assises régionales, et par ricochet des Assises nationales, sont les Nigériens de l’intérieur, les chefs traditionnels, les jeunes, les enseignants et les chercheurs. C’est un renouvellement notable des consultations de ce type et on s’éloigne donc des schémas de la conférence nationale. Le CNSP encadre bien l’exercice car la commission nationale chargé de la conduite des Assises nationales est rattachée au Chef de l’État. Après un débat à la base le compte rendu et les recommandations des Assisses vont être entre les mains d’experts où il faut noter que les militaires sont quasi absents à l’exception du colonel major Maman Souley. Il faut observer aussi la présence de femmes comme mesdames Mariama Gamatié et Aissata Seyni. Deux anciens ministres de l’époque pré Issoufou sont associés à la commission nationale : Ibrahim Mayaki et Idi Ango Omar. Ibrahim Mayaki ne s’est pas montré opposé à collaborer avec des militaires putschistes ni particulièrement courageux quand ce que l’on nomme communément la démocratie était menacée dans leur pays. Ce sont également, du fait de leur génération et de leur milieu social, des hommes politiques sans clivage irrémédiable avec la France ou ce que l’on nomme la communauté internationale.
Sommaire
Les thématiques
Idi Ango Omar préside la commission thématique N°1 qui semble la plus déterminante avec l’objet « Paix, sécurité, réconciliation nationale et cohésion sociale.» en réalité c’est la sous commission « Refondation politique et institutionnelle » qui va donner l’architecture de la nouvelle maison constitutionnelle du Niger. Deux conseillers techniques de poids vont en donner le ton : Mamane Oumaria, conseiller du Président du CNSP et Larwana Ibrahim conseiller du Secrétaire Général du Gouvernement, en charge de l’élaboration des textes fondamentaux de la République. La sous-commission N°5 (la dernière) s’occupe de « Justice et Droits de l’homme » sous la présidence d’un poids lourd intellectuel du temps de Mamadou Tanja. Il y a quelques jours il semblait approuver d’ailleurs le lancement officiel des activités de l’Institut Tandja Mamadou pour la Paix, la Démocratie et le Développement (ITM/PDD), une organisation apolitique et à but non lucratif qui entend œuvrer pour la promotion des valeurs incarnées par l’ancien Président de la République, «un patriote et nationaliste par excellence ». Une initiative portée par les anciens collaborateurs politiques et militaires mais aussi les proches et partisans de l’ex Chef d’État, de 1999 à 2010, qui vise à promouvoir la vision et les idéaux incarnées par le défunt Tandja Mamadou, qui a tiré sa révérence le 24 novembre 2020 en léguant à la prospérité un immense héritage marqué par des valeurs imbues de patriotisme dont beaucoup de nigériens sont encore nostalgiques surtout dans le contexte actuel d’affirmation de la souveraineté nationale.
Ruralité et souveraineté
A cette occasion, Mamadou Tandja a été annexé en tout bien tout honneur à la lutte pour la souveraineté que mène le Niger. On a rappelé que le désir d’Indépendance de l’ancien président du Niger lui a valu bien des intimités notamment de la part des puissances impérialistes qui se sont appuyés sur des valets locaux pour conduire au coup d’état du 18 février 2010 qui l’a renversé. Aujourd’hui, et bien que nul ne soit parfait, l’histoire est en train de donner raison à l’ancien Président à l’évocation de son engagement en faveur du monde rural. Lors des différentes interventions, il a été également mis en exergue la manière dont il a su s’adapter à l’évolution politique du pays en se muant en véritable démocrate, respectant les règles du jeu et prônant la paix, la consultation et concertation pour un véritable développement à la base qui tienne compte des moyens propres et des intérêts du Niger et des nigériens.
La trajectoire spécifique du Niger
L’une des interventions qui a le plus capté l’attention de l’assistance de la cérémonie d’inauguration de l’Institut Tandja Mamadou pour la Paix, la Démocratie et le Développement, est celle du juriste et constitutionaliste Dagra Mamadou qui a exalté les mérites de la démocratie en dépit de ses imperfections avant de s’appuyer sur l’expérience de l’ancien chef de l’État dont il fut ministre de la Justice pour soumettre des pistes de réformes politiques majeures pour sortir la démocratie nigérienne des sentiers battus. Cela semble un signe positif que la référence à la démocratie, malgré très souvent l’aspect formel de ce pouvoir du peuple à travers les élections, ne soit pas censurée à l’occasion des assises nationales 2025.
Mais cela n’a rien de vraiment étonnant. Le Niger a connu une histoire politique difficile et parfois agitée, mais avec une trajectoire bien différente de celles du Faso et du Mali. On a beaucoup critiqué le projet de Tanja de faire un mandat de plus et cela a rejailli sur son pouvoir qualifié d’autoritaire. Cependant la définition occidentale de l’autoritarisme et de la démocratie ne fait pas de distinction subtile, qu’il s’agisse du régime de Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville ou celui de Kagamé au Rwanda, d’Eyadéma au Togo ou de Compaoré au Burkina Faso, tous sont ou étaient classés comme étant autoritaires par les différents indicateurs disponibles (Freedom House, Polity IV, Transformation Index, etc.). Dans ces régimes, le réseau présidentiel exerce une influence fortement hégémonique sur l’ensemble de l’appareil d’État, notamment l’administration, le système judiciaire et l’armée, ainsi que sur les circuits économiques formels et informels. La limite de mandats n’est donc pas perçue comme étant un obstacle insurmontable.
Par contre, notons malgré tout que le régime de Tanja qui a tenté un troisième mandat était pourtant démocratique (ou plutôt semi-démocratique) et qu’Issoufou comme Bazoum ont truqué les élections sans être désavoués par la communauté internationale. L’armée du Niger est également singulière dans son rapport à la constitution et à son esprit. Au Niger, après que le président Tanja avait éliminé tous les obstacles formels, incluant la dissolution de l’Assemblée et le limogeage des sept juges de la cour constitutionnelle qui s’opposaient à sa tentative de changement de la règle des mandats, c’est finalement l’armée qui est intervenue, a écroué Tandja, mis en place une période de transition, et finalement redonné le pouvoir aux civils.
L’armée, la rue, les élections
Quant à la situation au Burkina, il faut relever que le contrôle du président sur l’entité militaire tenait davantage d’un leurre, dans la mesure où il l’exerçait surtout sur le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), dont la montée en puissance s’était faite au détriment des autres entités sécuritaires. Ces dernières ont donc peu hésité avant d’intervenir en faveur des segments de la population qui avaient exprimé leur opposition au changement de la règle des mandats. Ainsi, il ne faudrait pas négliger le rôle qu’a exercé la société civile dans les échecs subis par Tandja et Compaoré. Au Niger, le régime a été affaibli par l’opposition de la rue, mais aussi par l’intervention de l’armée.
Il reste aux Assises de déterminer la légitimité des institutions organisant les élections au Niger. En 2020, la Coalition pour une alternance politique 20-21 (CAP 20-21) revendiquait la révision du Code électoral, rejetait les résultats de l’audit du fichier électoral biométrique, contestait la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et de la Cour
constitutionnelle, évoquant leurs impartialité et complaisance avec le parti au pouvoir. Rappelons que la campagne présidentielle, censée commencer officiellement le 5 décembre 2020, se déroulait dans un contexte sécuritaire complexe : l’état d’urgence proclamé dans trois régions sur huit : Diffa, Tillabéry et Tahoua, couvrant pratiquement un tiers du territoire du pays.
Si la transition passe par les urnes il faudra que le PNDS-Tarayya renonce à se référer au moins au président déchu, Mohammed Bazoum. L’élection amorcera ainsi la restructuration de la scène politique nigérienne avec une ex-opposition qui devrait coaliser le MNSD-Nassara et ses alliés. Les Assises pourraient être un indicateur de la capacité des militaires au pouvoir, des institutions et des hommes politiques nigériens d’écouter la leçon de Tanja et la voix des jeunes.
Olivier Vallée,
Responsable du Comité Scientifique,
Alliance Panafricaine pour la Citoyenneté (APC)