Niger : dans les griffes du faucon ?

Massacre en zone instable
Le massacre intervenu au Niger, il y a quelques jours, a rappelé, qu’en plein ramadan, les civils restent les cibles des attaques des groupes armés insurgés. Sans revendication de l’attentat par l’organisation de l’État Islamique, c’est pourtant elle qui est visée par la déclaration du ministre nigérien de la défense. La zone de Fambita, village de la commune de Kokorou, est en partie sous le contrôle d’éléments du groupe État islamique au Sahel qui mettent en place des barrages routiers pour prélever des taxes. Il y a huit jours, dans la cadre de l’opération Niya, l’armée avait lancé deux importantes missions dans la région contre ce groupe armée et annoncé, via un communiqué, avoir « neutralisé 90 jihadistes». Neuf soldats avaient été tués durant ces combats.
Armed MQ-1C Gray Eagle UAV au temps de la base américaine au Niger
Depuis 2023, 2400 personnes auraient été tuées au seul Niger et le départ des Américains et des Français de ce pays est avancé comme un facteur du renforcement de l’activité d’Al Qaïda et de l’État islamique (ISIS).
Le secteur de l’attaque de la mosquée de Fambita est une zone humide partagée avec le Burkina Faso et le Mali, qui comprend quatre marais et mares permanents et semi‑permanents dans un ancien affluent du fleuve Niger. D’importance internationale pour différentes raisons, le site est particulièrement précieux pour l’appui qu’il fournit aux oiseaux d’eau avec près de 50 000 représentants de 56 espèces comptés en 2000. Les Qataris, depuis longtemps, fréquentent cet écosystème généreux où ils peuvent chasser, avec leurs faucons transportés par avions spéciaux, les oiseaux, dont l’outarde. Le site a été inclus comme projet de démonstration financé par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) dans le cadre de l’Accord sur les oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique -Eurasie.
La chasse au faucon, tradition du Qatar
Il y a également des sites aurifères et bien que musulmanes, les populations locales ont des cultes traditionnels. Elles vénèrent un serpent qui serait l’esprit protecteur de Kokorou et de ses habitants.
Médiateur et partenaire
Il y a un mois, le 24 février 2025, le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) et Chef de l’État du Niger, a accueilli la délégation qatarie dirigée par le Dr Mohammed Bin Abdelaziz Al-Khulaifi, Ministre d’État et Ministre des Affaires Étrangères de l’État du Qatar. Cette visite, marquée par une volonté de renforcer les liens bilatéraux, intervient dans un contexte dans lequel le Niger, sous la direction de la junte militaire depuis juillet 2023, cherche à diversifier ses partenariats internationaux.
Les échanges avec la mission du Qatar ont mobilisé les décideurs nigériens en matière de sécurité, notamment le Général de Corps d’Armée Salifou Mody, Ministre d’État chargé de la Défense Nationale, le Dr Soumana Boubacar, Directeur de Cabinet du Président du CNSP, ainsi que M. Alio Daouda, Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, qui assure également l’intérim du portefeuille des Affaires Étrangères. Cette forte représentation témoigne de l’importance accordée par Niamey à cette visite diplomatique. Le Premier ministre Ali Lamine Zeine n’était pas associé à cette rencontre.
Le Dr Mohammed Bin Abdelaziz Al-Khulaifi est un diplomate expérimenté formé à l’Université de Californie à Berkeley. Il était venu apporter son soutien militaire au Niger et se proposait, comme il l’a fait pour le Tchad, de recevoir à Doha les groupes armés et les partis politiques afin de parvenir à un accord sur la fin de la transition. Doha est aussi devenu le partenaire politique et militaire important des Etats-Unis et de la France pour l’Afrique. L’émirat se déploie d’Est en Ouest du continent africain avec deux pays clés, le Rwanda et le Bénin. On a d’ailleurs apprécié l’exploit de la rencontre inattendue entre les présidents Kagame et Tshisekedi à Doha alors que leurs forces militaires sont en guerre ouverte.
Mohammed Bin Abdulaziz Al-Khulaifi a préparé sa visite à Niamey en écoutant les sirènes de Paris. C’est comme cela qu’il faut comprendre sa demande de libération de Bazoum formulée auprès du ministre de la justice invité dans les rencontres qui le dépassaient. Le Qatar n’a pourtant pas de raisons de se préoccuper du régime Issoufou, dont Bazoum est le faux nez.
En effet, Niamey, en 2017, a laissé tomber le Qatar quand le Conseil de Coopération du Golfe a décrété un blocus sur son voisin, puissance gazière et site d’une base française et de troupes américaines. Pourtant, pendant des générations, le Niger était le terrain de chasse au faucon des émirs qataris avec un gibier de choix, l’outarde.
Le jeu à triple bandes
Il ne faut pas ignorer la recherche de stabilisation de l’Afrique par les Qataris. Cependant leur principal objectif reste de maintenir une influence diplomatique, religieuse, militaire et politique dans une Afrique médiane qui va du Soudan au Nigéria. A l’horizontale, Doha accompagne Américains et Français comme les Émirats Arabes Unis le font à partir du Maroc dans une verticale Nord-Sud avec un fort volet Atlantique (voir précédents articles).
Unité de patrouille militaire au Niger
Abdourahamane Tiani, Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), ne veut pas contrarier Doha. Mais il redoute un scénario à la syrienne où les Américains installent un islamiste repenti au pouvoir à Niamey. Avec Doha à la manœuvre et les Français en embuscade. C’est pourquoi il a demandé à l’ancien étudiant de Berkeley de plaider sa cause auprès de Washington en espérant du réalisme de la part de l’administration Trump. Il veut aussi faire des signes à Paris via l’émirat qui se trouve chez lui au bord de la Seine. Les Etats-Unis ne veulent pas de base chinoise sur l’Atlantique, en particulier du projet en Guinée Équatoriale. Ils souhaiteraient par contre une base continentale, sans doute à la frontière de la Libye et du Niger. L’État-major français qui avait basé ses MQ-9 Reapers de la 33ème escadre de chasse et de reconnaissance souhaiterait les repositionner au Bénin et en Côte d’Ivoire. Un silence de Niamey et de Bamako serait un premier geste de tolérance réciproque. D’autant plus que via le Qatar, les Franco-Américains jurent d’user seulement de drones de surveillance désarmés.
L’expulsion récente par le Niger de trois dirigeants chinois de trois entreprises clés de la filière pétrolière laisse entendre que le chef de l’État nigérien a bien entendu le message de Trump contre Beijing. Al-Qaïda comme les Russes ne sont plus les ennemis principaux et prioritaires de Washington et de ses alliés du Golfe, que ce soit le Qatar ou les EAU.