Maroc : Le ramadan des ruptures ?

Le ramadan n’est jamais une période facile pour le roi du Maroc qui doit conjuguer son rôle religieux et l’action politique. Il a, peu avant le début du jeune 2025, marqué les esprits en demandant que le sacrifice de l’Aïd el-Kebir, qui marque la fin du ramadan, prévu le 6 ou 7 juin 2025, n’ait pas lieu. Cette fête de clôture est devenue aussi l’occasion de réceptions officielles et de visites privées avec des présents entre amis et membres de la famille et surtout le partage du mouton sacrifié.
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Les oligopoles contre la paix
Plus exactement, Mohammed VI, selon Voice of America, demande à ses concitoyens de ne pas acheter de moutons en vue du sacrifice. Il considère comme l’ONG Moroccan Center for Citizenship que le prix du mouton est tel que pour 55 % des ménages c’est une charge très lourde et que 7 % des ménages s’endettent à cette fin. De plus les animaux consommés lors de la fête commémorant le sacrifice d’Abraham sont importés de Roumanie, d’Australie et de l’Espagne voisine. C’est aussi l’occasion pour certains proches du gouvernement de Sa Majesté de profiter de licences d’importation afin de s’enrichir un peu plus lors de la revente locale. Le Roi ne pouvait pas ignorer que quelques jours avant L’Opinion à travers un éditorial de Soufiane Chahid dénonçait l’oligopole de l’importation et de distribution de la viande qu’il assimilait à celui des hydrocarbures. Le ministre du commerce et de l’industrie, Ryad Mezzour, lui-même avait rappelé sur Medi-1TV que 18 spéculateurs, ce sont ses mots, étaient à l’origine d’une inflation menaçant la paix sociale. Malgré le sacrifice de l’État annulant la TVA concernant la viande rouge importer, importateurs et distributeurs ont doublé leur marge.
Inégalités et corruption
De plus, la recommandation de M 6 intervient après la diffusion du rapport du Haut-Commissariat au Plan qui établit l’aggravation des inégalités sociales dans le Royaume. « Le niveau de vie des 20% les moins aisés a annuellement progressé de 1,1% entre 2014 et 2022. Pour les 20% les plus aisés, le niveau de vie a annuellement progressé de 1,4% entre 2014 et 2022, une amélioration marquée de 2,8% entre 2014 et 2019… » Les plus pauvres en ville affrontent la hausse globale des prix alimentaires qui touche aussi les légumes, les fruits, les oléagineux, les sardines. Pendant ce temps la corruption persiste au Maroc. En effet les résultats de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) pour l’année 2024, révélés par Transparency Maroc, dressent un constat alarmant de la situation au Maroc. Avec un score de 37, le pays enregistre une baisse d’un point par rapport à 2023, reculant ainsi à la 99ème place mondiale, contre la 97ème l’année précédente. Une dégringolade continue qui s’illustre par la perte de 26 places depuis 2018. Dans son rapport annuel 2023-2024, la Cour des comptes met en évidence l’obstacle que représente la corruption financière et administrative dans le développement socio-économique et dans l’efficacité de la gestion publique. Malgré les protestations de la société civile, le conseil de gouvernement a approuvé un amendement porté par le garde des Sceaux, Abdellatif Ouahbi, visant à empêcher les ONG d’intenter des actions en justice contre les délits portant atteinte aux biens publics, notamment contre les malversations commises par des élus ou des fonctionnaires…
Consensus et contestation
Transparency Maroc n’hésite pas à déclarer en 2025 : « Le Maroc continue de s’enliser dans la corruption systémique ». Une situation de l’agriculture et de la société au Maroc qui ne peut laisser insensible Aziz Akhannouch, actuel Premier ministre et ancien ministre de l’agriculture. Il est aussi à la tête d’une fortune estimée à 2 milliards USD et le patron des stations d’essence de la société Afriquia, premier distributeur de carburants au Maroc…C’est donc la première fois depuis 29 ans que la demande royale intervient. Mais à la différence du roi Hassan II qui usa de décrets (trois fois) pour interdire le sacrifice, M 6 a sollicité son peuple verbalement dans une posture de consensus et non d’autorité. Il n’en reste pas moins que le moqqadem, ce personnage du quartier, relais au quotidien du Makhzen (le palais royal), veillera à la bonne observation de la consigne. Durant le mois de février on a vu la poursuite du soutien d’une large partie de la population aux habitants de Gaza et de nouvelles protestations contre la hausse des prix et le bas niveau des salaires.
Les lions enragés du Sahel
Mais surtout, le mois dernier, le Bureau Central d’Investigation Judiciaire (BCIJ) de Salé a annoncé le démantèlement du réseau, de ses caches d’armes et de ses finances, de la cellule Les Lions d’Al Khifala Fi Al Maghreb Al Aqssa, la branche sahélienne de DAECH. Le volet officiel et judiciaire de révélation (le BICJ) de la menace sécuritaire et terroriste dissimulait la lente préparation du coup de filet opéré par les services de renseignement du pôle DGSN-DGST. Ce dernier a établi que le responsable de DAECH en cause n’est autre que le libyen Abderrahmane Sahraoui et que l’armement provient du Mali. Une partie des personnes arrêtées auraient des connexions avec des anciens du Polisario et DAECH au Mali et au Niger. La branche africaine de DAECH, pour la sûreté nationale marocaine, dispose encore de cellules dormantes au Maroc et le ramadan aurait pu être l’occasion de coups d’éclat.
DAECH menace le Maroc car l’organisation considère que le pouvoir de Rabat conforte le régime de Bamako dans sa lutte contre les Groupes armés non étatiques. Sur le terrain le renseignement militaire marocain essaie de dissocier les Touaregs du Front de Libération de l’Azawad de DAECH, comme d’Al Quaïda. Les coups qu’Al Quaïda porte à DAECH incite aussi Abderrahmane Sahraoui à des attentats hors du Sahel, donc au Maroc principalement, afin de regagner en influence. Le BCIJ qui tient le compte des cellules dormantes des organisations terroristes annonce qu’une quarantaine d’entre elles sont en lien avec DAECH au Sahel. Le volet sahélien de DAECH infiltre des combattants avec une formation au Maroc tandis que 130 Marocains identifiés sont enrôlés dans les GANE sahélo-sahariens.