AES : Du souverainisme à la reconquête des ressources minières

L’étape souverainiste
Le souverainisme est un qualificatif que les détracteurs de l’AES ont fini par admettre, François Misser, dans la revue New South du 1er mars 2025, https://www.southworld.net/west-africa-winds-of-resource-nationalism-blow-across-the-sahel/, rappelle le rôle que Kemi Seba, nom de renaissance kémite et panafricaniste de Stellio Gilles Robert Capo Chichi a joué dans cette mutation. Ce dernier a gagné un statut de leader politique de premier plan au Sahel dépassant son aura de fondateur de l’ONG « Urgences panafricanistes ». Kemi Seba est même le conseiller spécial du président de la transition nigérienne, le général Tiani.
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Kemi Seba. CC BY-SA 4.0/Boubs Sidibe
Il ne faut négliger qu’à présent l’influence du souverainisme se diffuse en Afrique, y compris dans les pays anglophones. Kemi Sema se réclame l’héritier des présidents Kwame Krumah et Thomas Sankara. Au Ghana, la conscience noire de Kwame Krumah a fait l’objet d’un colloque intellectuel de haut niveau il y a quelques jours. John Dramani Mahama, à la tête du Ghana a besoin de l’hinterland des trois pays du Sahel qui ont formé une confédération, l’Alliance des États du Sahel, l’AES. Mais ce n’est pas seulement pour cette raison que le président ghanéen était il y a quelques jours, dans les États du Sahel : le Burkina Faso, le Mali et le Niger, trois pays gouvernés par des militaires putschistes et qu’il espérait convaincre de revenir au sein de la CEDEAO, le bloc ouest-africain qu’ils ont quitté fin janvier.
Il bénéficie de l’aura, comme son pays, de la révolution panafricaniste de Kwame Krumah et sa propre opinion publique, de plus, attend de cet héritage une inspiration et une politique nouvelle.
En attendant, le laboratoire de la révolution panafricaniste est au Niger selon la déclaration de Kemi Sema à l’agence d’information turque Anadolu. L’article de François Misser examine, après le développement de la thématique souverainiste, suite à la rupture d’avec l’interventionnisme militaire français, le passage à la prise de contrôle des ressources minières.
Saisies d’or au Faso et au Mali
Le premier acte de réappropriation des ressources minières est venu du Burkina Faso qui, en février 2023, a saisi 200 kilogrammes d’or extrait par la firme canadienne Endeavour Mining. Puis, en 2024, les autorités du Faso ont nationalisé les mines d’or de Boungou et de Wahgnion toujours dans l’orbite d’Endeavour Mining. Le projet national du Burkina est de transformer l’or dans une raffinerie dont la construction a commencé en novembre 2023.
Le président Ibrahim Traoré a déclaré, en début d’année 2025, vouloir récupérer les licences d’exploitation de l’or, ce qui signifie, sinon une nationalisation des compagnies minières, du moins un contrôle plus étroit, avec la renégociation de tous les contrats actuels avec les partenaires étrangers.
Le 2 janvier 2025, la justice malienne a ordonnée la saisie de trois tonnes d’or détenues par la société malienne Barrick Gold qui devrait à l’État du Mali la somme de 5.5 milliards USD. Cette décision de justice intervient après le litige qui a opposé les autorités à Barrick Gold. Ces dernières ont incarcéré plusieurs dirigeants de la filiale locale et lancé un mandat d’arrêt contre le PDG, Mark Bristow.
Loulo-Gounkoto Gold Mine Complex in Mali. Photo : Endeavour Mining
Un espace budgétaire élargi
Le 2 janvier 2025, la justice malienne a ordonnée la saisie de trois tonnes d’or détenues par la société malienne Barrick Gold qui devrait à l’État du Mali la somme de 5.5 milliards USD. Cette décision de justice intervenait après le litige qui avait opposé les autorités à Barrick Gold. Le pouvoir malien a incarcéré plusieurs dirigeants de la filiale locale et lancé un mandat d’arrêt contre le PDG, Mark Bristow.
Le gouvernement a également saisi les stocks d’or de Barrick provenant des mines de Loulo et de Gounkoto dans l’Ouest du Mali et les a transporté en hélicoptère à Bamako pour les déposer dans un établissement financier public, la Banque Malienne de Solidarité.
Ripostant, Barrick a annoncé, le 13 janvier 2025, qu’elle suspendait l’extraction d’or et demandait l’arbitrage du Centre International de Règlements des conflits sur l’investissement basé à Washington DC (International Centre for Settlement of Investment).
En ce moment, des négociations ont toujours lieu entre Barrick et le gouvernement malien. Dans le dossier on trouve les griefs réciproques de non-paiement des taxes et impôts d’un côté, et de l’autre la saisie des stocks d’or. Quoiqu’il en soit le nouveau code minier donne à l’État des droits accrus sur son sous-sol.
Barrick tient compte de la résolution du régime militaire malien qui, en novembre 2024, avait arrêté le patron et deux employés de la société minière australienne Resolute Mining. Ils ne furent libérés qu’après que la compagnie Resolute Mining consente à un versement de 160 millions USD à l’État.
Le ministre de l’économie Alousseni Sanou se félicite de cette politique de redressement fiscal et de renégociation des contrats qui aurait rapporté plus d’1 milliard USD au Mali. Les réformes du secteur minier devraient également permettre d’augmenter le budget annuel de l’État de 20%. Le président Assimi Goïta assure que ces nouveaux revenus miniers procurent les moyens de rembourser la dette extérieure et intérieure et d’acquérir des équipements militaires.
Mine d’uranium au Niger
Le Niger en rupture avec Orano
Au Niger, c’est l’uranium qui est en jeu. En 2024 le nouveau pouvoir militaire retire la licence de la mine de Imamouren détenue par le géant français implanté historiquement au-dessus d’Agades, Orano (voir les articles d’Olivier Vallée). Orano perdait ainsi des réserves estimées à 200 000 tonnes d’uranium. En octobre 2024, Orano décidait unilatéralement de cesser la production de sa filiale Somaïr, où elle détient 63.4% des parts sociales contre 36.6% à l’État du Niger. En réponse, Ousmane Arbachi le ministre des mines évoquait l’arrivée d’un partenaire russe tandis qu’Orano montrait son intention de recourir à l’arbitrage international.
François Misser estime que la rhétorique souverainiste et les actions opérées contre les partenaires miniers extérieurs peuvent décourager l’investissement occidental. Mais les régimes militaires installés de l’AES semblaient pouvoir compter sur la Chine, la Russie et la Turquie pour se substituer aux anciens opérateurs miniers mentionnés.
Commentaires : Les toutes récentes expulsions de dirigeants chinois de la filière pétrolière au Niger montrent la détérioration des relations de l’ancienne amitié entre Niamey et les opérateurs orientaux. Le président Trump qui militarise la présence américaine en Libye et au Maroc ne regarde pas favorablement la menace des régimes de l’AES sur les intérêts privés de l’Occident. Cela ajoute à la volonté des Etats-Unis de contrer la présence militaire russe dans la zone. Le Niger parait moins irriter Washington dans la mesure où Orano reste un groupe public français à 90 %. Et toute fâcherie avec la Chine est regardée comme un signe favorable pour la diplomatie agressive des Etats-Unis. Est-ce un ressort de la longue liste de griefs du Niger vis-à-vis des Chinois qui ont été secourables quand la CEDEAO et l’UEMOA voulait l’asphyxier financièrement ?
Olivier Vallée, le 16/03/2025,
Responsable du Comité Scientifique,
Alliance Panafricaine pour la Citoyenneté (APC)